Il a fallu davantage qu'un petit peu d'ambition pour que les premiers poissons se débarrassent de leurs nageoires et développent des membres, mais ce que ce quelque chose d'extra a pu être représente une question importante qui n'a pas encore été résolue. Luke Harrison, étudiant au doctorat en biologie évolutionniste du développement, au Musée Redpath de l'Université McGill, travaille actuellement à une thèse visant à apporter une réponse à cette question vieille de 370 millions d'années.
M. Harrison, qui a reçu un Prix d'études supérieures André-Hamer du CRSNG pour ses travaux, croit que des changements dans les réseaux de régulation génétique (RRG) survenus durant le développement peuvent être responsables de l'évolution des nageoires en membres chez les tout premiers amphibiens. Les RRG sont comme des schémas de câblage qui représentent les interactions entre différents gènes d'un organisme durant le développement. Selon des études antérieures, des changements dans l'expression de plusieurs gènes de structuration des membres survenus au cours du développement seraient responsables de la croissance de membres au lieu de nageoires, mais les mécanismes génétiques sous-jacents à ces changements demeurent inconnus. En combinant des aspects de la paléontologie et de la bioinformatique avec des travaux en laboratoire, M. Harrison testera son hypothèse selon laquelle des modifications survenues dans l'architecture des RRG peuvent fournir la réponse.
Le chercheur déterminera les RRG les plus susceptibles d'être la cause sous-jacente du développement des nageoires et des membres, les deux sens de la transition étant étudiés, en utilisant des dipneustes à poumons et des grenouilles comme modèles de poissons et d'amphibiens préhistoriques. Il utilisera également, au besoin, des données obtenues sur des poissons–zèbres, des poulets et des souris afin de compléter ses recherches.
Une fois qu'il aura estimé les RRG en cause dans l'évolution qui a transformé les nageoires en membres, M. Harrison pourra formuler une hypothèse qui pourrait expliquer comment des changements dans l'expression des gènes de structuration des membres ont pu se produire. En se fondant sur ces changements hypothétiques, il manipulera ensuite expérimentalement l'expression des gènes dans le RRG afin de tester son hypothèse selon laquelle une modification touchant les RRG a pu guider l'évolution des nageoires en membres.
Il s'agira du premier examen d'envergure de l'évolution des réseaux de gènes durant une transition évolutive importante des vertébrés. M. Harrison espère que ses recherches donneront encore plus de poids à l'idée que les études fondées sur les RRG peuvent jouer un rôle utile dans l'explication des mécanismes du changement évolutif à grande échelle chez les vertébrés.