Les lacs du Nord de l'Ontario, du Nord de l'État de New York et de la Scandinavie avaient l'air magnifiques – clairs comme du cristal jusqu'au fond. En fait, ils étaient en grand péril. C'était le milieu des années 1980, et de nombreux scientifiques pointaient du doigt l'une des responsables jusqu'ici insoupçonnée de méfaits environnementaux : la pluie acide. Mais comment le prouver – et préparer la voie à un nettoyage – lorsque les compagnies charbonnières et les grandes sociétés industrielles des États-Unis et d'ailleurs pouvaient offrir une foule d'autres explications, ou à tout le moins semer le doute?
Comme le joueur qui est rappelé des ligues mineures afin de participer à un match de championnat à titre de frappeur suppléant, M. John Smol s'est présenté à la « plaque scientifique ». Comme dans un archétype, le jeune chercheur dans la vingtaine a dû puiser creux pour trouver les preuves qui lui permettraient de sceller l'issue du match. Très creux à vrai dire. Jusque dans les fonds boueux de ces lacs empoisonnés.
« La pluie acide a propulsé la paléolimnologie aux manchettes des journaux, affirme M. Smol, l'un des trois finalistes à la Médaille d'or Gerhard-Herzberg du CRSNG de 2003. Auparavant, la paléolimnologie était considérée comme une sous-discipline très ésotérique et une science essentiellement qualitative. Elle constitue maintenant une science rigoureuse qui a des applications quotidiennes pour les gestionnaires de bassins versants et est perçue comme étant essentielle à la recherche sur des questions telles que le changement climatique. »
La paléolimnologie est la reconstitution de l'histoire des lacs à partir de carottes de sédiments prélevées dans le fond des lacs. Ces sédiments – pleins d'organismes morts qui renferment une foule de renseignements, les principaux appartenant à deux classes d'algues appelées diatomées et chrysophytes – constituent des « archives en couches » du passé d'un lac. Les 15 premiers centimètres de sédiments accumulés au fond d'un lac du Parc Algonquin cataloguent environ 200 ans de la vie du lac. Prélevez une carotte de cinq mètres et vous obtenez un registre détaillé des 12 000 dernières années.
Au cours des 20 dernières années, M. Smol a orienté la progression de la paléolimnologie d'une discipline hydrologique vers une science dynamique à l'échelle internationale, et a été le chef de file de l'étude des lacs arctiques.
M. Smol, ses nombreux étudiants diplômés et de niveau postdoctoral ainsi que ses collègues ont utilisé la paléolimnologie pour explorer des questions allant des variations de la population de saumon rouge du Pacifique au cours des deux derniers millénaires (un renseignement essentiel pour les gestionnaires des pêches), à la fréquence des sécheresses dans le Centre et dans l'Ouest du Canada. Il est le coauteur d'un article qui a paru récemment dans la revue Nature montrant que le saumon rouge peut transporter des polluants jusque dans ses frayères, des PCB qu'il a accumulés dans ses tissus adipeux pendant sa croissance dans la mer.
En plus de mener des recherches de pionnier, M. Smol a contribué à créer un cadre intellectuel, institutionnel et politique rigoureux pour la paléolimnologie. Il est le fondateur et le codirecteur du Paleoecological Environmental Assessment and Research Lab (PEARL) de la Queen's University, que nombre de personnes considèrent comme étant le meilleur lieu de formation en paléolimnologie au monde. En outre, il est l'auteur ou le coauteur d'une multitude d'articles et de livres sur le sujet.
Animé d'un enthousiasme contagieux, il associe tous les éléments pour montrer clairement que lorsqu'il s'agit de questions environnementales actuelles, même la vieille boue peut aider à y voir plus clair.
« Aujourd'hui, la plupart des évaluations environnementales sont fondées sur un maximum de trois ans d'information. Cela n'est pas une échelle de temps appropriée pour l'étude de questions telles que la pluie acide ou le réchauffement de la planète », affirme M. Smol.
Au cours des années 1980, les recherches de M. Smol sur les lacs de la région des Adirondacks et de Sudbury se sont fondées sur les 200 années de registres laissés par les diatomées et les chrysophytes, pour reconstituer les changements écologiques survenus dans les lacs qui présentaient des niveaux croissants d'acidité et établir une fois pour toutes que les cheminées cracheuses de soufre tuaient bel et bien nos lacs.
Au cours de deux décennies de recherche, M. Smol et les membres du PEARL ont mis au point de nombreuses techniques qui sont maintenant utilisées couramment en paléolimnologie, y compris des techniques d'analyse des diatomées, de carottage et d'interprétation. Grâce aux travaux considérables du laboratoire sur les diatomées et les chrysophytes comme indicateurs environnementaux, ces algues microscopiques peuvent maintenant servir à étudier presque toutes les questions environnementales. L'abondance relative de chacune des espèces de diatomées et de chrysophytes indique une gamme de caractéristiques environnementales allant du pH à la salinité en passant par la température.
M. Smol a aussi été un chef de file de l'étude des lacs de l'Arctique canadien : depuis 21 ans, presque tous les étés, il consacre trois semaines à sonder ces eaux glaciales. Une fois encore, ce travail de détective en paléolimnologie dans le Nord (souvent effectué en collaboration avec Mme Marianne Douglas de l'University of Toronto, une ancienne étudiante diplômée de M. Smol) démontre que les créatures microscopiques retrouvées dans la boue ancienne peuvent raconter une histoire contemporaine riche de sens.
« Les régions arctiques sont considérées comme étant pour la Terre ce qu'est le canari pour le mineur – elles sont censées être les premières à montrer des signes de changement environnemental, et des signes évidents, affirme M. Smol. Et nous démontrons que depuis les années 1800, d'énormes changements sont survenus dans l'Arctique, changements qui, selon nous, sont liés au changement climatique. »
Principales réalisations
Fondé par M. Smol en 1991, le Paleoecological Environmental Assessment and Research Lab (PEARL) de la Queen's University est considéré par de nombreuses personnes comme étant le meilleur lieu de formation en paléolimnologie au monde. En tant que codirecteur du laboratoire, M. Smol dirige un groupe d'environ 30 personnes – étudiants de premier cycle et des cycles supérieurs et chercheurs invités – de partout dans le monde qui ont été attirées par le laboratoire et étudient des questions aquatiques allant de l'incidence de l'écoulement des eaux usées et des engrais sur les lacs et les rivières, à l'incidence de l'accroissement du rayonnement ultraviolet sur la vie aquatique, et au changement climatique.
M. Smol est un vulgarisateur passionné, capable de s'adresser tant à des élèves du secondaire qu'à des hauts responsables des politiques, et de transmettre son enthousiasme contagieux pour la perspective environnementale qu'offre la paléolimnologie. En 2002-2003, il a prononcé le discours inaugural du Miroslaw Romanowski Environmental Science Tour, une série de conférences publiques sur la science de l'environnement tenues dans toutes les régions du pays et parrainées par la Société royale du Canada. M. Smol travaille aussi en étroite collaboration avec des responsables fédéraux et provinciaux des politiques, les conseillant et exerçant des pressions auprès de ces derniers en faveur de questions allant de la législation en matière de changement climatique, à la recherche – si importante – dans l'Arctique.
Doué d'un style accessible à tous et déployant des efforts pour communiquer clairement, M. Smol est l'un des professeurs les plus respectés de la Queen's University. Parmi les distinctions d'enseignement qu'il compte à son actif, il a remporté en 2001 le W.J. Barnes Teaching Excellence Award, le prix d'enseignement des plus prestigieux décerné par l'Arts and Science Undergraduate Society de la Queen's University. Il a agi comme mentor auprès de plus de 40 jeunes chercheurs, dont 26 étudiants au doctorat et 15 stagiaires postdoctoraux.
Le souci de M. Smol de communiquer sa science se traduit aussi par les nombreux livres et articles qu'il a rédigés ou dont il a été le directeur scientifique, ouvrages qui ont contribué à jeter les bases sur lesquelles reposent l'étude et l'application de la paléolimnologie. En 1986, on a demandé à M. Smol s'il serait intéressé à fonder le Journal of Paleolimnology, une revue internationale, et à en être le directeur scientifique. Trente volumes plus tard et fort d'un succès croissant, la revue compte toujours sur la contribution de M. Smol qui occupe aujourd'hui la fonction de codirecteur scientifique. Ses 13 livres (et deux autres qu'il vient de terminer) vont du volume de taxonomie détaillée, comme Atlas of Chrystrophycean Cysts dont il est le coauteur, à son livre le plus récent, Pollution of Lakes and Rivers : A Paleoenvironmental Perspective, le fruit de six années de rédaction les fins de semaine et tard le soir, qui offre aux scientifiques et aux gestionnaires de bassins versants un guide les aidant à diagnostiquer les problèmes de qualité de l'eau et à les régler.
Notes biographiques
M. Smol est né à Montréal le 10 octobre 1955. Il a d'abord étudié l'écologie aquatique actuelle, obtenant un baccalauréat ès sciences en biologie marine de l'Université McGill en 1977. Toutefois, croyant que de se concentrer sur le présent le limiterait trop pour avoir une perspective globale, M. Smol s'est intéressé au passé et a obtenu une maîtrise ès sciences avec concentration en paléolimnologie de la Brock University en 1979. En 1982, il a obtenu un doctorat de la Queen's University pour sa thèse intitulée Postglacial Changes in Fossil Algal Assemblages from Three Canadian Lakes. Il a reçu quelque 20 bourses de recherche et d'enseignement depuis 1990. En 1996, il a été nommé membre (le plus jeune à l'époque) de l'Académie des sciences de la Société royale du Canada (SRC). M. Smol occupe actuellement le poste de directeur de la Division des sciences de la vie de la SRC.