Le chitosane : une percée dans le domaine des bioplastiques
« En 2020, je crois que nous avons presque l’obligation morale d’utiliser notre ingéniosité, notre curiosité et l’immense chance que nous avons en tant que chercheurs pour aider l’humanité à relever les grands défis auxquels elle est confrontée », affirme Audrey Moores, de l’Université McGill. Bien que Mme Moores se concentre sur l’infiniment petit dans le cadre de ses travaux, nommément les molécules, elle ne perd pas de vue le monde macroscopique pour autant. Mme Moores et les membres de son groupe de recherche, The Moores Research Group, qui travaillent avec divers polymères (des matériaux formés à partir de longues chaines de molécules qui se répètent, comme le plastique et le verre) ont un jour eu l’idée d’utiliser la biomasse pour créer un biopolymère avancé.
Au Canada, 86 % des plastiques aboutissent dans des sites d’enfouissement, de sorte que la recherche d’une solution de rechange naturelle aux plastiques classiques est une perspective attrayante. Entre en jeu le chitosane, un polymère biodégradable dérivé d’une substance naturelle que l’on appelle « chitine » et que l’on trouve en abondance dans la carapace des crustacés. Étant donné leurs immenses possibilités structurelles, on pourrait se demander pourquoi les matériaux à base de chitosane ne sont pas déjà le premier choix pour la fabrication de produits respectueux de l’environnement. En fait, la réponse à cette question tient au fait que le procédé actuellement utilisé pour transformer la chitine en chitosane consiste à exposer la chitine à des liquides corrosifs que l’on chauffe à haute température, ce qui est très polluant. « C’est mauvais pour les travailleurs de l’usine qui manipulent ces solutions, et c’est mauvais pour l’environnement parce qu’on rejette beaucoup d’eaux usées polluées », explique Mme Moores.
Après avoir vu le potentiel du chitosane, Mme Moores et son groupe de recherche ont décidé de repenser ce procédé de transformation en faisant appel à la mécanochimie et à la technique du vieillissement, ce qui leur a permis de synthétiser des molécules à l’état solide sans recourir à des solvants, c’est-à-dire sans avoir à chauffer des liquides corrosifs à haute température. Leurs travaux leur ont permis de mettre au point un tout nouveau matériau, aux propriétés entièrement nouvelles, au moyen d’un procédé qui requiert beaucoup moins d’eau, huit fois moins d’hydroxyde de sodium et trois fois moins d’énergie. Les éléments clés de ce procédé breveté comprennent notamment une période de repos et de vieillissement, ainsi que des taux d’humidité élevés, ce qui réduit considérablement les risques pour les travailleurs dans les usines. Non seulement cela répond-il à la question des risques pour la sécurité et l’environnement, mais Mme Moores considère également que les bioplastiques représentent une utilisation très intéressante de ce nouveau biopolymère, ce qui ajoute aux avantages de la découverte sur le plan de sa durabilité.
Les médias grand public ont été mis au courant de cette percée lorsque Gabrielle Beaulieu, gestionnaire de projet à Parcs Canada, s’est adressée à Mme Moores dans l’espoir de collaborer à la résolution d’un problème. En effet, le Parc national Kejimkujik Bord de mer, en Nouvelle Écosse, était aux prises avec un crabe vert envahissant, un crustacé fouineur qui détruisait les herbiers de zostère marine en cherchant de la nourriture. Ces herbiers servent de pouponnières à un grand nombre de formes de vie marine et permettent également aux oiseaux migrateurs de s’y arrêter pour se nourrir. « La destruction des herbiers de zostère marine a eu d’énormes effets sur l’écosystème environnant », explique Mme Moores, qui s’est rendue elle-même au bord de l’eau pour constater le problème en personne.
Parcs Canada piège ces crabes depuis des années afin de sauver les herbiers de zostère marine restants, ce qui a permis un renouvèlement spectaculaire de l’écosystème. Toutefois, le projet a eu pour effet de produire un excédent de biomasse de crabe pour lequel il fallait trouver une utilité. Les restaurateurs de la région se sont mobilisés pour ajouter ce crustacé à leur menu, et on a étudié la possibilité d’utiliser des engrais à base de crabe à des fins agricoles. Cependant, l’option la plus prometteuse sur le plan scientifique consistait à utiliser la carapace riche en chitine de ce crabe pour produire des bioplastiques. Un partenariat avec l’industrie alimentaire est par ailleurs en voie d’être conclu, grâce auquel les déchets de crustacés provenant de la pêche seraient utilisés pour la production de ce nouveau biopolymère.
La découverte de Mme Moores contribue maintenant à la préservation des écosystèmes du pays, une application qu’elle trouve particulièrement intéressante. Les efforts de son groupe de recherche ont mené à des découvertes fondamentales à l’échelle moléculaire, qui se sont traduites par des changements positifs dans des domaines d’importance critique, comme le bienêtre environnemental.
« Cela a été incroyablement gratifiant pour moi et j’ai appris tellement de choses », raconte Mme Moores, qui prévoit améliorer le procédé au cours des prochains mois en utilisant des sommes obtenues grâce à l’initiative de financement participatif Seeds of Change (de l’Université McGill), au Fathom Fund (du réseau MEOPAR) et au soutien de Parcs Canada. Autrefois considérée comme trop compliquée à gérer dans de nombreux endroits, la production de chitosane est devenue un procédé durable qui permet d’éliminer des déchets dans de nombreux endroits.
Le vif intérêt pour les changements climatiques, la pollution et la santé est apparent dans la nature interdisciplinaire et collaborative des travaux de Mme Moores. Cet intérêt est également manifeste dans la McGill Sustainability Systems Initiative, qui réunit des experts de diverses facultés dans le but de bâtir une communauté de chercheurs œuvrant pour le développement durable. Mme Moores travaille actuellement à la mise au point de nanocristaux quantiques durables pour les écrans ACL dans le cadre de cette initiative, qui demeure pertinente dans le domaine des sciences durables.
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