Rapprocher les cultures par le génie
Il y a un an, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) accueillait dans ses rangs Rahswahérha Mark Green comme chercheur en résidence, soit dans un rôle de conseiller. Depuis, M. Green a fait profiter le CRSNG de ses points de vue uniques en tant que chercheur autochtone, et a prodigué de précieux conseils sur les politiques et programmes influant sur le milieu du génie canadien.
Pour souligner le fait qu’il a atteint le milieu de son mandat de chercheur en résidence, nous avons eu un entretien des plus intéressant avec lui, au cours duquel nous avons parlé de sa carrière et de son expérience inestimable acquise à collaborer avec les communautés autochtones et à défendre leurs intérêts dans l’écosystème de la recherche.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers le génie civil?
Quand j’étais enfant, je m’intéressais particulièrement aux mathématiques et aux sciences. Lorsqu’est venu le temps de faire un choix de carrière au secondaire, mon père m’a suggéré le génie. Il était professeur de mathématiques et deux de mes oncles étaient ingénieurs, ce qui est inhabituel pour des gens des Premières Nations. On ne compte pas beaucoup d’ingénieurs parmi les membres des Premières Nations... Comme ils étaient des exemples pour moi, m’orienter vers le génie semblait une bonne idée. Puis, au moment de choisir, j'ai été attiré par les disciplines qui me feraient travailler de mes mains. Je m’intéressais aux structures et j’avais aimé construire une cabane avec mon père quand j’étais au secondaire. C’est pour cela que j’ai choisi le génie civil.
De 2013 à 2019, vous avez dirigé le programme d’ingénierie durable en régions éloignées (IDRE) qui était financé au titre du Programme de formation orientée vers la nouveauté, la collaboration et l’expérience en recherche du CRSNG. Quel était l’objectif du programme?
J’ai toujours été impliqué dans les activités autochtones. J’ai été conseiller pour le doyen de la faculté de génie et de sciences appliquées pour le programme Indigenous Futures in Engineering et j’ai coprésidé le Conseil autochtone de l’université Queen’s. J’assumais ces fonctions parallèlement à mes travaux de recherche et je me suis dit qu’il serait sans doute possible de rapprocher ces deux pôles d’activité. J’ai alors eu l’idée d’inclure dans mon projet de recherche une partie du travail que je faisais pour promouvoir la participation des Autochtones dans le domaine de l’éducation.
Au début, nous avions deux grands objectifs de recherche : le logement et l’énergie durable. Nous voulions réaliser des travaux qui se démarquent et transférer les technologies mises au point aux partenaires du secteur et aux communautés autochtones. Le troisième objectif visait la formation : faire participer plus d’Autochtones à la recherche et mobiliser davantage de communautés autochtones.
Quels ont été les défis?
Il y avait des défis énergétiques dans les communautés des Premières Nations, particulièrement dans les régions nordiques et éloignées, car beaucoup de communautés dépendent du diésel pour s’alimenter en électricité. Nous voulions trouver des solutions durables. Nous étions conscients que, généralement, les ingénieures et ingénieurs ne savent pas grand-chose à propos des Autochtones. Nous savions que ces personnes et les autres scientifiques devaient tout d’abord se renseigner sur les peuples des Premières Nations pour jeter les bases d’une bonne collaboration. L’un des grands volets du programme FONCER s’est articulé autour de la formation et de la mise au point de pratiques exemplaires pour collaborer.
Il y a eu aussi des obstacles financiers pour les étudiantes et étudiants autochtones qui participaient aux programmes de recherche, surtout l’été. Pour les éliminer, nous avons augmenté considérablement les fonds mis à leur disposition pour que les sommes octroyées se rapprochent de ce qu’ils auraient gagné en occupant un poste dans le secteur pendant l’été.
Le programme IDRE a permis de former 7 stagiaires au niveau postdoctoral, 37 étudiantes et étudiants des cycles supérieurs et 16 de premier cycle — dont 19 étudiantes et étudiants autochtones au total — à la fois à la recherche de pointe et à la compréhension de la culture autochtone. Quelles ont été les retombées du programme à long terme?
Nous avons instauré un cours de cycle supérieur que l’ensemble des étudiantes et étudiants du programme ont suivi. Environ le tiers du cours portait sur les enjeux autochtones, l’histoire des peuples autochtones, les cérémonies et les meilleurs moyens de collaborer avec les communautés. Le cours proposait différentes occasions de mise en pratique aux étudiantes et étudiants en sciences et en génie, comme faire l’essai d’une hutte de sudation et écrire sur leurs expériences. Ce cours était très différent de bien des autres cours de cycle supérieur dans les STIM [sciences, technologie, ingénierie et mathématiques], et il est encore offert.
Le fait de faire participer des étudiantes et étudiants autochtones à la recherche a donné de très bons résultats, surtout au premier cycle. La plupart étudiaient au premier cycle et ont participé à des travaux de recherche avec nous pendant l’été ou durant leurs sessions. Beaucoup se sont démarqués et travaillent maintenant pour des firmes de génie autochtones. Nous avons beaucoup appris pour ce qui est des pratiques exemplaires en dialoguant avec les communautés autochtones et en menant des travaux de recherche directement avec elles.
Vu mon intérêt pour l’ingénierie de la sécurité-incendie et mon expertise en la matière, je travaille actuellement avec certaines communautés des Premières Nations pour accroître leur résilience face aux feux de forêt. Je continue d’appliquer certaines des pratiques exemplaires issues du programme IDRE.
Comment continuez-vous de vous perfectionner depuis les débuts du programme IDRE?
Je connais maintenant mieux nos propres cérémonies. J’ai toujours été actif, dans une certaine mesure, dans ma communauté, mais j’ai commencé à jouer un plus grand rôle dans ma maison longue, et j’ai été invité à une cérémonie où j’ai reçu mon nom Kanyen’kéha — Rahswahérha —, qui signifie « celui qui bâtit un pont ». Grâce à ces expériences, je me sens plus confiant quant au programme IDRE et je continue de me former. J’ai été moi-même étudiant dans les dernières années, dans le cadre d’un programme linguistique et culturel que l’université Queen’s offre en collaboration avec le centre linguistique de la région, Tsi Tyónnheht Onkwawén:na. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre l’importance des langues d’un point de vue pratique et de découvrir différents aspects de la culture. En tant qu’éducateur, ce fut une expérience intéressante d’apprendre dans un cadre formel; cela m’a aidé à adapter mon approche pédagogique.
Vous avez été nommé chercheur en résidence du CRSNG en 2023. Qu’espérez-vous accomplir et faire changer?
En tant que chercheur en résidence, je veux instaurer de bons systèmes de soutien pour les étudiantes et étudiants autochtones de premier cycle et des cycles supérieurs ainsi que les titulaires de bourses postdoctorales qui font de la recherche. Je travaille sur des politiques touchant la recherche autochtone, en particulier les pratiques exemplaires à appliquer dans le cadre de travaux de recherche avec les communautés des Premières Nations, inuites et métisses. Je peux aussi tirer parti de mes expériences auprès d’organismes autochtones pour mettre les choses en contexte, offrir un meilleur soutien et mobiliser les étudiantes et étudiants et le personnel hautement qualifié pour qu’ils contribuent à ce processus. Je souhaite accroître la sensibilisation au sein du CRSNG en épaulant le Réseau du personnel autochtone et en tirant parti des occasions de conscientiser les gens, comme les activités internes pour le personnel et cette histoire de recherche.
À propos de Mark Green
Mark Green est professeur au département de génie civil de la Queen’s University, chercheur en résidence au CRSNG et membre de la bande des Mohawks de la baie de Quinte. Il a été conseiller pour le doyen de la faculté de génie et de sciences appliquées pour le programme Indigenous Futures in Engineering, et doyen et vice-recteur aux études à la Queen’s University ainsi que coprésident du Conseil autochtone de l’université et président de la First Nations Technical Institute.
Découvrez les réalisations de son équipe dans le cadre du programme d’ingénierie durable en régions éloignées financé par le Programme FONCER (en angais seulement).
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