Ensemble du début à la fin : accorder une place de choix aux valeurs communautaires en recherche

Espace d'enseignement extérieur où deux enfants sont assis à des tables, prêts à dessiner sur du papier blanc. Une enseignante ou guide est debout au centre et donne des instructions. 
(Crédit photo : Photo fournie par Jesse Popp)

Les retombées de la recherche sur la société sont plus importantes lorsque les chercheuses et chercheurs nouent des liens avec les groupes sociaux concernés par le sujet des travaux. C’est logique, puisque les partenaires dans la communauté ont une compréhension unique des enjeux. Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) reconnait que le fait d’intégrer diverses perspectives permet d’accélérer l’application des résultats de recherche au profit de la société.

Pour Jesse Popp, chercheuse principale au laboratoire Wildlife, Indigenous Science, Ecology (WISE) (en anglais seulement) de la University of Guelph, mettre les rapports humains au premier plan de ses recherches est une priorité, surtout lorsqu’il s’agit des communautés autochtones. Pour en apprendre plus sur le travail de la chercheuse, l’équipe du CRSNG a eu le plaisir de la rencontrer et de lui poser des questions sur sa passion pour les sciences de l’environnement et la place des partenaires à chaque étape de la recherche.

Jesse Popp, d’où vous vient cet intérêt pour les sciences de l’environnement?

Enfant, ma mère m’emmenait souvent dans la nature. Je me souviens que nous nous assoyions en forêt pour dévorer à belles dents les diverses espèces de plantes que nous cueillions de manière respectueuse. Ces moments m’ont fait prendre conscience de l’importance de la nature. Bien que j’en aie appris beaucoup sur les plantes, j’ai toujours été curieuse d’en savoir plus sur notre lien avec les animaux, comme l’ours noir qui était assis dans le champ avec nous pendant que nous mangions des bleuets.

Puisque la nature m’a tant donné, j’ai toujours su que je voulais lui rendre la pareille d’une manière ou d’une autre. J’ai donc décidé de consacrer ma vie à préserver la nature pour que mes enfants et les générations futures puissent en profiter, comme ma famille et moi l’avons fait. Mon parcours professionnel est ma façon de remplir mon devoir envers la Terre mère en priorisant la réciprocité et aussi de la remercier pour tout ce qu’elle nous offre et pour les relations que nous avons avec les êtres vivants qu’elle abrite.

Vous faites partie d’une équipe dirigeant un programme de recherche financé par une subvention Société du programme Alliance du CRSNG. Vous cherchez à combiner les savoirs autochtones et la science occidentale afin d’accroitre l’efficacité du suivi des orignaux et de favoriser la collaboration. Quels sont les principaux objectifs de vos travaux?

L’orignal est malheureusement en déclin dans beaucoup de régions du Canada. Il nous faut vraiment travailler en collaboration pour cerner les facteurs déterminants de ce déclin et trouver ensemble des façons d’aider l’animal. Le projet « Moose Alliance » réunit une vaste équipe composée d’universitaires, de Premières Nations ainsi que de représentantes et représentants d’organismes sans but lucratif, de Nature United et du gouvernement de l’Ontario. Nous combinons les savoirs autochtones et la science occidentale pour répondre aux enjeux locaux, trouver réponse à d’importantes questions de recherche et avoir une compréhension globale de l’incidence des problèmes environnementaux sur la relation entre l’humain et la nature.

Conformément à notre approche au laboratoire WISE, nous priorisons les valeurs communautaires dans notre démarche de recherche; nous cherchons à renforcer les capacités, à offrir des formations sur le suivi des orignaux et à aider à mieux comprendre les facteurs associés au déclin de cette espèce. Nous travaillons aussi à la création d’un réseau de connaissances sur l’orignal. Nous espérons qu’il servira d’espace éthique où des individus et des représentantes et représentants de l’administration publique et d’autres organisations qui s’intéressent à la conservation et à la protection de l’espèce pourront partager leurs connaissances dans le respect, nouer des relations et trouver des solutions à des problèmes d’intérêt commun.

Comment espérez-vous transmettre vos enseignements et résultats aux autres Premières Nations des régions où l’on trouve des orignaux?

J’ai étudié l’orignal pendant presque toute ma carrière, et beaucoup de Premières Nations m’ont approchée pour connaitre ma perspective scientifique sur le suivi et la protection des orignaux. Les Premières Nations s’intéressent beaucoup à la question, mais ont peu de moyens.

Nous allons produire diverses trousses à outils, et nous espérons qu’en préparant nos études de cas, nous pourrons établir une base qui permettra ensuite à toutes et tous d’apprendre les uns des autres. Et puisque toutes les communautés sont différentes et ont des besoins uniques, il est primordial pour nous de les mettre en contact les unes avec les autres grâce à ce réseau de connaissances, ce qui permettra d’étendre la portée de notre travail.

Les projets menés par les communautés et conçus avec elles semblent au cœur de votre programme de recherche. Comment les liens que vous avez établis avec vos nombreux partenaires contribuent-ils à la mise en commun des connaissances et au rapprochement des cultures?

La recherche en écologie, qui favorise les relations éthiques et équitables avec les peuples et les territoires autochtones, est notre priorité absolue. Les « cinq R » de la recherche autochtone (réciprocité, recherche pertinente, responsabilité, relations et respect) sont des principes fondamentaux à notre travail. Nous nous efforçons d’appliquer ces principes à chaque étape de la recherche, de la définition conjointe des objectifs du projet à la diffusion des résultats de façon mutuellement pertinente. Nous le faisons ensemble, du début à la fin.

Les relations sont au cœur de notre démarche. Par exemple, les étudiantes et étudiants du laboratoire commencent généralement leur programme par une session entièrement consacrée à l’établissement de liens avec les communautés des Premières Nations qui travaillent avec nous. En temps normal, les étudiantes et étudiants des cycles supérieurs travaillent à la collecte de données; nous avons donc dû modifier quelque peu nos projets de recherche, car les programmes d’études ne prévoient pas nécessairement un espace pour une démarche comme la nôtre. Fait intéressant, celle-ci fait maintenant partie du « produit » : notre façon de procéder devient un chapitre de thèse, donc les étudiantes et étudiants obtiennent des crédits pour le temps passé dans les communautés.

Le milieu de la recherche en général commence à peine à voir l’utilité de consacrer du temps à l’établissement de liens, mais nous trouvons des moyens de le faire, et les avantages sont tout simplement incroyables.

Le CRSNG a eu le privilège de soutenir vos travaux, que ce soit, par exemple, par l’intermédiaire de l’ancienne bourse d’études supérieures du Canada Alexander-Graham-Bell, d’une chaire de recherche du Canada ou de la subvention Horizons de la découverte qui vous a été octroyée récemment. Quelle a été l’incidence du financement du CRSNG sur votre programme de recherche et votre carrière?

Je suis extrêmement reconnaissante au CRSNG de m’avoir appuyée et d’avoir financé mes travaux de recherche au fil des ans. Je pense que sans cette aide, je ne serais probablement pas où je suis aujourd’hui. Je repense parfois au financement que le CRSNG m’a accordé en début de carrière. J’avais très peu d’expérience en tant que chercheuse. Je m’estime heureuse qu’on m’ait donné ma chance, surtout que je sortais des sentiers battus dans le domaine des sciences naturelles. Je suis également reconnaissante du soutien apporté à la recherche et aux initiatives autochtones en général, car je pense que c’est ensemble que nous améliorons la science.

Parallèlement à vos activités de recherche soutenues et à votre travail sur le terrain, vous êtes une communicatrice scientifique engagée. Pourquoi est-il important pour vous de transmettre votre expérience et d’encourager la participation à la recherche?

Les peuples, le savoir et la recherche autochtones n’ont pas toujours été pris en compte ou acceptés dans le milieu universitaire, notamment en sciences naturelles. Je pense qu’il est important de comprendre que les façons qu’ont les Autochtones d’acquérir le savoir sont tout aussi valables et importantes que celles qui sont utilisées dans la culture occidentale. C’est important pour tout le monde d’en prendre conscience, surtout pour les jeunes.

Semer des graines en ce sens avec un travail de sensibilisation est l’un des aspects que je préfère dans mon travail, et c’est une priorité pour la plupart des Premières Nations avec lesquelles nous travaillons. Nous avons tellement de plaisir à organiser des camps pour les jeunes, à monter des stands d’information, à visiter les communautés et les écoles. Par exemple, nous avons un projet sur les insectes, et nous aimons souligner que le mot anishinaabemowin pour « insecte » est manidoosh, ce qui veut dire « petit esprit ». En faisant appel à la langue et aux valeurs pour interpeler les jeunes, nous rappelons justement l’importance des relations avec la nature. Il est primordial, lorsqu’on s’adresse aux jeunes, de mettre l’accent sur ces enseignements fondamentaux, car c’est ainsi que nous inciterons la prochaine génération à penser différemment et lui montrerons que sa façon de voir le monde est valable et importante et qu’elle a sa place en science.

Je dirais que le changement s’opère petit à petit, et que c’est grâce à chaque petit pas que nous avons fait que nous avons pu parcourir tout ce chemin. J’ai bien hâte de voir où notre parcours, et celui d’autres personnes qui font aussi du travail vraiment génial, nous mènera.

Quel conseil donneriez-vous à une personne qui se trouve aujourd’hui dans la même position que vous il y a de cela de nombreuses années, soit une jeune personne aux études supérieures dans le Nord de l’Ontario qui souhaite avoir un parcours professionnel semblable au vôtre?

Lorsqu’on ne se contente pas du statuquo, le chemin risque d’être cahoteux, mais pas impraticable. À la personne qui choisit un parcours professionnel semblable au mien, je dirais merci, miigwech. On a besoin d’elle plus qu’elle ne peut l’imaginer. Même si le chemin est difficile, il faut persévérer; et lorsqu’on le fait, on en retire tellement plus que ce qu’on aurait pu imaginer.

Cette entrevue a été adaptée pour plus de concision et de clarté.

À propos de Jesse Popp, Ph. D.

Jesse Popp est titulaire d’une chaire de recherche du Canada en sciences environnementales autochtones à la University of Guelph. De descendance anishinaabe et européenne mixte et membre de la Première nation du territoire non cédé de Wiikwemkoong, elle cherche à promouvoir l’inclusion en science et les différents modes d’acquisition des connaissances dans son propre parcours d’apprentissage et de partage. En tant que chercheuse principale au laboratoire Wildlife, Indigenous Science, Ecology (WISE) (en anglais seulement), elle fait en sorte qu’elle et son équipe combinent les savoirs autochtones et occidentaux pour contribuer à l’avancement des sciences de l’environnement et de l’écologie. En recherche, les membres de l’équipe du laboratoire WISE privilégient les approches holistiques et transdisciplinaires pour étudier les questions écologiques soulevées par les communautés et organisations autochtones avec lesquelles elle travaille. En travaillant à des projets menés par des Autochtones, qui misent sur les valeurs et le savoir autochtones, Mme Popp et son équipe contribuent à la protection de l’environnement et à l’avancement des sciences naturelles dans un esprit de réconciliation.

Récit suivant

Bulletin Contact

Recevez par courriel des mises à jour sur les activités du CRSNG. Consultez tous les numéros.

  • Twitter
  • Facebook
  • LinkedIn
  • Youtube
  • Instagram