L’oscillation des disques protoplanétaires

Lorsqu’elle était en première année d’université, Jess Speedie a entendu quelque chose qui l’a marquée et qu’elle n’a jamais oublié : « Tout ce qui existe sur Terre vient du disque de gaz et de poussière qui tournait autour de notre soleil après sa formation. C’est de là que provient toute la diversité sur notre planète. »
Celle qui est aujourd’hui doctorante en astronomie à la University of Victoria s’intéresse maintenant au disque d’accrétion entourant une autre étoile. Elle nous amène la toute première preuve visuelle d’une planète en train de se former selon un mode qui n’avait pas encore été exploré. « La théorie dominante, établie depuis longtemps, veut que les planètes se forment “petit à petit” – des particules de poussière s’agglomèrent peu à peu jusqu’à la naissance d’une planète, explique-t-elle. Mais il existe une autre théorie selon laquelle la genèse des planètes pourrait aussi se faire dans le sens inverse : lorsqu’un disque de matière est très massif, il devient instable sur le plan gravitationnel; de grands bras en spirale se forment puis se fragmentent en gigantesques amas qui se condensent en planètes. »
La chercheuse a épluché l’immense catalogue de données d’observation du radiotélescope chilien ALMA, qui a permis de cartographier le disque autour de la jeune étoile AB Aurigae. Elle et l’équipe internationale d’astronomes avec laquelle elle travaille ont arrêté leur choix sur cet astre justement parce que la communauté scientifique soupçonne depuis plus de vingt ans que le disque qui l’entoure est instable sur le plan gravitationnel; il s’agissait donc du meilleur candidat susceptible de leur permettre d’observer la naissance d’une planète selon cet autre mode de formation.
« C’est un cas classique en science : notre collaboratrice de la University of Georgia, Cassandra Hall, a fait le travail de fond avec ses simulations, qui lui ont permis de prédire ce que l’on verrait si le disque était instable sur le plan gravitationnel. Nous avons pointé ALMA vers AB Aurigae et nous avons pu observer exactement ce qu’elle avait prédit. »
Dans son article « Gravitational instability in a planet-forming disk », paru dans la revue Nature (en anglais seulement) le 5 septembre dernier, Jess Speedie et ses collègues expliquent en détail leur méthodologie – et bien sûr, il ne suffisait pas d’examiner quelques images pour en arriver à cette grande révélation.
« La sensibilité d’ALMA et sa haute résolution nous ont permis de capter le mouvement des gaz loin à l’intérieur du disque entourant AB Aurigae. Nous avons examiné les données sous tous les angles afin de faire ressortir et d’analyser le tracé et d’autres caractéristiques du mouvement. »
Et ce que l’équipe cherchait, c’était un mouvement d’oscillation, comme des vaguelettes, dans le champ de vitesse des gaz, qui indiquerait que le disque est instable et que le processus de formation planétaire est en cours.
En tant qu’étudiante au doctorat, Jess Speedie s’estime chanceuse d’avoir pu contribuer à ces travaux soutenus par le National Radio Astronomy Observatory (en anglais seulement) des États-Unis. Elle a ainsi pu travailler aux côtés d’une bonne dizaine d’astronomes de renommée mondiale, comme son superviseur à la University of Victoria Ruobing Dong, et analyser à fond les données. Et quel travail d’analyse!
« On peut s’y prendre de toutes sortes de manières pour extraire un signal cinématique de ce genre de données, précise la doctorante. La contribution que j’ai apportée au projet a été d’exposer le profil des vitesses en décomposant le cube des données d’ALMA en tranches, selon un certain axe. Le long de cet axe, nous avons pu isoler ce que nous voulions voir et nous avons constaté que cela cadrait parfaitement avec les simulations de Mme Hall. »
Les méthodes novatrices et la minutie de Jess Speedie ont permis aux scientifiques d’observer, pour la première fois, un exemple de disque où ce processus de formation des planètes est en cours.
« En recherche, nous avons la liberté – et même le devoir – d’explorer toutes les possibilités. C’est ainsi qu’on développe nos connaissances et qu’on repousse les limites du savoir. »
Le présent article a été traduit et publié avec l’autorisation de la University of Victoria (en anglais seulement).
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